Introduction au film "Ils étaient une fois... les Bushmen"
par Pierre MANN
L’histoire des Bushmen, c’est la tragique histoire d’une des races les + anciennes du monde qui peuplait l’Afrique australe jusqu’au jour où d’autres races, noires et blanches, l’ont dépossédée de ses terres et finalement, l’ont écrasée.
L’histoire est identique à celle des indiens d’Amérique. Mais si la conquête de l’ouest américain a fait l’objet d’innombrables ouvrages et de films, l’histoire des treakkers sud-africains est moins connue.
Les Bushmen étaient les premiers habitants d’Afrique australe.
Lorsque les premiers fuyards bantous, chassés par les esclavagistes, descendent du nord, affamés et apeurés, les Bushmen leur ont donné asile. Car leur tradition a toujours été la générosité. Mais c’est presque sans exception que ces errants venus du nord, une fois secourus, s’allièrent avec d’autres pour les exterminer et prendre leurs pâturages.
L’humanité du petit chasseur généreux a été trahie par l’inhumanité de ceux qu’il avait secourus. Les envahisseurs n’ont jamais estimé que sa qualité de premier occupant lui donnait quelques droits élémentaires.
Les Européens, hollandais en l’occurrence, se considéraient supérieurs à tous les autres peuples indigènes, fondant avant tout leur supériorité sur des critères biologiques.
La faible stature, la couleur de la peau et la stéatopygie (développement graisseux des fesses) des Bushmen furent dénigrés comme autant de caractéristiques propres aux branches inférieures de l’espèce humaine. Les colons sur leurs chevaux, tuaient les Bushmen, la main gauche posée sur la bible, la main droite sur le fusil.
Il n’existe pas de race Bushmen. Cette appellation n’était au début rien d’autre qu’une injure. Les colons désignaient par ce sobriquet toutes les ethnies vivant dans la brousse, les hommes sauvages, insaisissables, non assimilables, donc dangereux. Au début, il y avait les GWI, les GHANA, les KUNG, les NHARO et bien d’autres. Le terme Bushmen s’est figé à la fin du 19me siècle, désignant un peuple de chasseurs-cueilleurs.
Dans les années 1960, les scientifiques, considérant le terme trop négatif, le remplacent par SAN, un terme de la langue Nama.
Ce n’était pas mieux car il se traduit par vagabond et brigand.
Le vilain terme français Bochiman est largement tombé en désuétude et c’est le terme Bushman aujourd’hui le plus utilisé, sans jugement de valeur.
Toutes ces ethnies ont été décimées. Les survivants se sont regroupés, mélangés, au prix d’une uniformisation des identités, des langues et des pratiques.
Une seule ethnie a pu être distinguée de toutes les autres, par son matériel génétique. Il s’agit d’un lignage ancien et séparé : les JU’HOAN qui serait dès lors le peuple le + ancien du monde. Ce sont les JU’HOAN que j’ai côtoyés pendant 4 années et qui sont les protagonistes de mon film.
Ils vivent encore dans une grande mesure comme leurs ancêtres.
Ils ne sèment pas une graine, ne pratiquent pas d’élevage. Ils font partie des rares habitants de la planète qui tirent leur subsistance de la cueillette et de la chasse. Ce sont des chasseurs-cueilleurs. Mais le terme chasseurs-collecteurs me semble mieux approprié puisque la collecte ne se limite pas uniquement à l’extraction des racines et la cueillette des fruits ou des feuilles, mais aussi à d’autres produits comme les insectes, les chrysalides, les reptiles, le miel et les oeufs.
C’est un peuple premier. Je n’ose plus employer le mot primitif qui était utilisé pour décrire des groupes enracinés dans le passé préhistorique, car peu à peu son sens qui n’avait rien de péjoratif a changé et il suggère à présent l’idée d’une faible intelligence, d’habitudes grossières ou d’impulsions brutales. C’est une vision ethnocentrique des civilisations longtemps véhiculée par la philosophie marxiste.
Aucun de ces qualificatifs ne convient pour décrire les Bushmen. L’idée de primitivisme joue pourtant à leur encontre, notamment au Botswana où leur gouvernement les considère comme un pesant fardeau, voire une honte nationale.
Cette conception péjorative des peuples traditionnels est très répandue dans le monde, notamment en Amérique du Sud et en Asie.
Pourtant, ces sociétés ne représentent pas un stade infantile et inférieur de l’humanité, mais des organisations complexes qui n’ont rien à envier aux nôtres en termes d’élaborations intellectuelles et culturelles.
Quand on détruit une culture au nom du progrès, il ne s’agit pas de progrès, mais d’une perte pour l’humanité entière.
Je pense qu’un pays comme le Botswana ou d’autres qui ont le privilège d’avoir sur leur territoire des peuples de cette nature, ne devraient pas ignorer et nier une telle richesse.
Le gouvernement de Namibie l’a bien compris, et il respecte toutes les ethnies sur son territoire.
Les Bushmen couvrent leurs besoins naturels en quelques heures de travail quotidien, le reste du temps étant consacré aux relations sociales et familiales et aux rituels.
A + d’un titre, leur éthique est enviable. Au sein de la tribu chacun a sa place, personne ne cherche à dominer l’autre, seul l’intérêt collectif compte. La non-violence est une valeur jamais transgressée. Une autre valeur importante est l’hospitalité, avec mon équipe nous nous en sommes rendus compte au cours de nos nombreuses visites en 4 années.
Ils éduquent leurs enfants par l’exemple, par les récits mythiques et l’apprentissage des tâches.
S’ils ne connaissent pas l’écriture, la tradition orale transmet la mémoire collective. Les Bushmen ont le sens de l’humour, sont de nature très gaie et savent se moquer gentiment les uns des autres. Aux hommes appartient le domaine de la mort, aux femmes celui de la vie, à travers le cycle reproductif et la nourriture.
Le vent du sud qui disperse les nuages et brûle l’herbe est le vent mâle parce qu’il tue. Le vent du nord qui amène la pluie est le vent féminin. Les orages électriques sont des pluies masculines, les précipitations douces et régulières des pluies féminines.
Et lorsque vient la mort, les femmes donneuses de vie sont ensevelies regardant l’Est, où commence le jour. Les hommes regardant l’ouest où disparaît le soleil.
La langue Bushman est certainement la + difficile du monde, Depuis le film/fiction « Les Dieux sont tombés sur la tête » tout le monde sait que le Bushman utilise des clics, des claquements de langue dans son langage, 5 en fait.
Cette langue n’est pas seulement difficile à cause des 5 clics, mais parce-que les Bushmen, pour formuler les pluriels, répètent les mots, ce qui donne au même mot 3 tonalités différentes qui lui confèrent 3 sens totalement divergents.
Il y a + de 60 000 peintures et gravures rupestres à travers l’Afrique australe. Certaines sont anciennes de 20 000 ans. Pour les peintures, les chamans utilisent le sang d’un éland fraîchement tué et le mélangent à la peinture. L’éland est la plus puissante antilope d’Afrique. Le sang de l’animal contient sa puissance et par conséquent les images peintes sur le rocher deviennent des réservoirs de puissance. Lorsque les chamans sentent leur force décliner en dansant, ils se tournent vers les images d’éland imbibées de sang et la puissance émanant des peintures se répand sur eux et les projette dans le monde spirituel.
On ne sait pas si, par ailleurs, les peintures et gravures avaient pour vocation d’être des chroniques de la vie du groupe, si elles avaient un rôle pédagogique, ou si elles étaient un instrument de communication entre la vie terrestre et le monde spirituel, en quelque sorte, un support de croyances religieuses.
Ce n’est pas impossible, car ces croyances sont très ancrées chez les Bushmen.
Ils ont un contact permanent avec le monde spirituel. Il ne s’agit pas d’un Dieu bien défini, mais d’une foi inébranlable dans l’existence d’un être suprême qui crée et domine.
Les esprits des ancêtres sont également des éléments importants dans le groupe.
Ils croient en leur force protectrice, leur attention, mais aussi en leur colère lorsqu’il y a transgression des règles ou des coutumes.
Au fil des semaines et de mes visites successives, j’ai pu établir avec les Bushmen une relation de confiance. Avec mon équipe, nous avons été reçus en amis, pas en voleurs d’images.
J’ai tenu à m’inscrire dans la tradition du documentaire ethnique du cinéaste Jean Rouch, basé sur le respect de la personne filmée.
Aucune image n’a été captée à leur insu.
Toute représentation artificielle de la réalité a été exclue.
Mon film est un hommage à ce peuple qui m’a appris ce qu’est la vraie humanité.
Préserver les peuples premiers au milieu du monde moderne, promouvoir la connaissance de cultures différentes de la nôtre, n’est pas une utopie. Respecter ces ethnies et leur manière de vivre est un signe de civisme, de progrès et de tolérance.
Derrière les persécutions que subissent les peuples indigènes se cache toujours la cupidité et le racisme qui les relèguent à un statut inférieur.
Mais les problèmes auxquels ils doivent faire face peuvent être résolus avec le soutien de l’opinion publique internationale, comme c’est le cas au Botswana où les Bushmen ont gagné le procès intenté contre leur propre gouvernement grâce notamment à l’action de Survival.
Ces Bushmen devaient regagner leur terre d’où ils avaient été expulsés à cause des diamants qu’on vient d’y découvrir. Mais en réalité, et en dépit du procès qu’ils ont gagné, la police du Botswana continue à les harceler et à les empêcher de retourner sur leurs terres et je viens d’apprendre que des lodges pour touristes, nécessitant de grandes quantités d’eau, sont sur le point d’être construits alors que les Bushmen ne sont pas autorisés à utiliser l’eau de leur unique puits. Par ailleurs, plusieurs puits ont déjà été forés en prévision de l’installation d’une mine de diamants d’un coût de 2.2 milliards de dollars qui sera exploitée par GEM DIAMONDS.